Édito

Certains, il est vrai, reviendront et d’autres viendront encore : tels le jeune érythréen qui joue d’un instrument à cordes de fortune dans ce Bois Chico Mendes qui sera bientôt, à son tour, fermé aux migrants (p.179), ce petit groupe dont les tentes, même cachées au milieu des ajoncs, font clairement tache, sous un beau soleil d’hiver, dans un paysage de campagne respectable (p.171), ou encore ces trois hommes qui ne semblent au contraire que trop bien appropriés au décor de caillasse où ils fouillent des détritus (p.173). Mais la doctrine policière va maintenant dans un seul sens : il s’agit désormais d’empêcher non seulement le passage mais aussi le rassemblement. Le long de l’autoroute un haut mur de bêton s’élève pour protéger encore mieux la voie qui mène aux ferries. Les migrants, eux, ont le choix de se disperser ou d’être dispersés. C’est pourquoi les photos que Bruno Serralongue prend en février ou juillet 2020 ressemblent à celles qu’il prenait lors des mêmes mois en 2006 : d’un côté, des taillis encombrés de détritus où des hommes se serrent en vêtements chauds autour d’un feu d’hiver (p.187) ou s’assemblent à l’ombre d’un velum de fortune qui les protège du soleil estival (p.194); de l’autre, un alignement de sacs de couchage le long d’un mur qui témoigne d’un rassemblement invisible ou un village de tentes bien serrées le long du mur d’une station- service désaffectée (p.191). On est en février 2020. A la fin du mois de janvier, la police a investi ce campement, mis les migrants dehors et emmené toutes leurs affaires. C’est pour elle désormais que ceux-ci doivent être des fantômes, exclus du monde où vivent les gens normaux. Ils sont revenus pourtant en nombre et reviendront sans doute quand on les aura évacués à nouveau. Ils persistent à se retrouver en ces lieux inhospitaliers qui commandent l’accès à leur destination rêvée. C’est ce que pourrait symboliser la photo insolite d’un migrant solitaire assis avec son barda près d’une pancarte qui invite les habitants du lieu à découvrir les fonds enchantés des Maldives dans un centre marin nommé Nausicaa (p.201). C’est, on le sait, le nom de la princesse qui accueillit le naufragé Ulysse. Bruno Serralongue s’amuse peut-être de ce rapprochement ironique. Mais il persiste surtout à nous montrer l’insistance d’un rêve.

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